Une nouvelle région cérébrale impliquée dans l’acouphène
Recherche Acouphènes :
Une nouvelle région cérébrale impliquée dans l’acouphène
Une nouvelle région cérébrale impliquée dans l’acouphène
Texte adapté pour France Acouphènes par Agnès JOB et Chantal DELON-MARTIN
Agnès Job
Chercheure de l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées (IRBA),
Rattachée à l’INSERM U 1216
« Neuroimagerie fonctionnelle et perfusion cérébrale »
Grenoble Institut des Neurosciences
Chercheure de l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées (IRBA),
Rattachée à l’INSERM U 1216
« Neuroimagerie fonctionnelle et perfusion cérébrale »
Grenoble Institut des Neurosciences
Chantal Delon-Martin
Chercheure INSERM
Grenoble Institut
des Neurosciences (GIN), de l’équipe INSERM U 1216
« Neuroimagerie fonctionnelle et perfusion cérébrale »
Vous nous demandez souvent : « Où en est la recherche sur les traumatismes sonores ? »
Les chercheurs travaillent sur de nouvelles pistes. Pendant plusieurs décennies, les études sur l’acouphène ont été focalisées essentiellement sur l’organe qui possède nos cellules auditives : la cochlée. Cependant, la réalité clinique s’est heurtée à cette évidence qui s’est avérée ne plus en être une. En effet, perte auditive et acouphène ne vont pas toujours de pair comme nous l’avons vu dans de nombreuses situations, et ceci même pour l’acouphène du traumatisme sonore.
Les chercheurs travaillent sur de nouvelles pistes. Pendant plusieurs décennies, les études sur l’acouphène ont été focalisées essentiellement sur l’organe qui possède nos cellules auditives : la cochlée. Cependant, la réalité clinique s’est heurtée à cette évidence qui s’est avérée ne plus en être une. En effet, perte auditive et acouphène ne vont pas toujours de pair comme nous l’avons vu dans de nombreuses situations, et ceci même pour l’acouphène du traumatisme sonore.
Voici
un article de recherche d’un concept novateur, bien sûr dans le langage
de recherche. La chercheure a fait oeuvre de pédagogie. Elle nous dit :
«
Il faut pouvoir expliquer de manière simple, parfois, alors que les
mécanismes sont déjà complexes et que nous-même ne maîtrisons pas dans
l’intégralité les mécanismes. Pour nous, chercheurs, informer le public
est un challenge, car la simplification peut conduire à une
compréhension erronée de nos recherches. Le chemin qui nous a conduit à
cette piste de recherche est une longue histoire et est, je pense, la
synthèse de l’expérience de mes 25 ans de travail sur les traumatismes
sonores.
Une nouvelle région cérébrale dans l’operculum 3 (OP3) droit
identifiée comme impliquée dans l’acouphène. Celle-ci donne un rôle
peut-être clé à une zone d’intégration des informations en provenance de
la structure de transmission des sons de l’oreille moyenne.
- Introduction
L’acouphène reste à l’heure actuelle un symptôme complexe dont on ne
connaît toujours pas véritablement le mécanisme et que l’on ne sait pas
véritablement traiter, malgré l’amélioration de la prise en charge par
des équipes pluridisciplinaires et l’association France Acouphènes qui
font un travail remarquable. Lorsqu’il s’agit d’acouphènes liés à un
traumatisme sonore, on invoque plus facilement l’existence d’un
mécanisme lié à une lésion cochléaire 1 souvent associée à la perte auditive. Les lésions par déafférentation 2 des cellules cochléaires induiraient la production d’un signal neuronal 3
aberrant correspondant à la représentation dans le cerveau de la
fréquence lésée. Or, plusieurs constats scientifiques ne concordent pas
toujours pour valider ce modèle.
1 - On peut trouver des pertes auditives importantes sans acouphène et vice et versa.
2 - Un enrichissement sonore de la fréquence lésée ne fait pas disparaître l’acouphène et peut même l’aggraver.
3 - L’acouphène du traumatisme sonore est
immédiat et souvent réversible et il est peu compatible avec des
phénomènes de plasticité à long terme que l’on pourrait observer dans
une réorganisation corticale4 liée à une privation sensorielle lésionnelle5 .
4 - L’hyperactivité dans la voie auditive observée dans les modèles
animaux n’apparaît qu’après plusieurs semaines. Il apparaît que la
structure hyperactivée en premier lieu est apparemment le cortex auditif
(augmentation de la synchronisation des neurones), alors que par
ailleurs l’activité spontanée neuronale est fortement diminuée dans la
voie ascendante auditive. Se pose donc le problème de savoir par quelle
voie neuronale l’information nerveuse d’hyperactivité serait susceptible
de remonter de la périphérie vers le cerveau, si ce n’est pas par la
voie auditive. Nous avons pu montrer par nos différentes études en
imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) 6 que pour l’acouphène lié au traumatisme sonore, l’implication de la voie somesthésique 7
est possible et notamment la voie somesthésique proprioceptive (terme
expliqué plus loin) liée à l’oreille moyenne. D’autre part, pour
l’hyperacousie, elle devra se distinguer de l’acouphène, car l’acouphène
est une perception illusion (sans source externe) non douloureuse alors
que l’hyperacousie est une modification de l’intensité des sons perçus
qui peut être plus ou moins douloureuse, elle fait appel à un mécanisme
différent, qui pourrait également impliquer les récepteurs à la douleur
de l’oreille moyenne et le système de modulation de l’amplification des
sons.
D’autre part, l’état émotionnel va avoir un rôle dans le mécanisme de
l’acouphène. La perception acouphénique et l’émotion sont intimement
liés (crainte de ne pas pouvoir supporter cette perception, crainte
d’avoir mal ou crainte d’être confronté de nouveau à l’agresseur,
anxiété envers un son dont on ne connaît pas l’origine, colère de
n’avoir aucune prise sur ce son) et là, un travail comportemental de
gestion émotionnelle, conduisant à un travail d’habituation doit être
effectué par la personne elle-même ou grâce à des équipes médicales
pluridisciplinaires, si la personne ne trouve pas les clés, elle-même,
nécessaires à cette gestion. La nouvelle région cérébrale identifiée
suggère un nouveau modèle de mécanisme de l’acouphène qui pourrait
rendre compte des nombreuses formes d’acouphènes, laissant ouvert un
nouvel espoir thérapeutique. Ce modèle d’acouphène ne s’appliquerait pas
à des acouphènes rythmés par les battements du coeur dont l’origine
serait de nature vasculaire. Par contre, pourrait s’y appliquer, un
acouphène parfois cadencé avec un, deux, voire trois sons (type musical)
non synchronisés sur les battements du coeur. Ce qui implique que si le
modèle est vrai pour les traumatismes acoustiques, celui-ci est
d’autant plus vrai pour les autres formes identifiées d’acouphènes : les
acouphènes somatosensoriels (serrage des mâchoires, problème de la
jonction temporo-mandibulaire, traumatisme cervical) ; les acouphènes de
la maladie de Menière et même ceux du neurinome de l’acoustique qui
mettraient en jeu le système trigéminé (noyaux du trijumeau) 8 , comme nous le verrons.
1 Lésion cochléaire : lésion des cellules de la cochlée (cellules de l’audition) dans l’oreille interne
2 Déafférentation : déconnexion entre les cellules cochléaires et le nerf auditif qui transmet le son au cerveau
3 Signal neuronal : information nerveuse transmise ou reçue entre les cellules nerveuses
4 Réorganisation corticale : réorganisation du cerveau
5 Privation sensorielle lésionnelle : qui se rapporte à un dommage définitif sur les organes des sens, aux structures nerveuses qu’ils mettent en jeu et aux messages qu’ils véhiculent.
6 IRMf : méthode d’imagerie utilisée en recherche pour visualiser sur un cerveau standard les régions du cerveau activées par une tache particulière ou à l’état de repos
7 Somesthésique ou somato-sensoriel : la somesthésie (dite aussi sensibilité du corps) constitue un des systèmes sensoriels de l’organisme. Elle comporte le toucher, la douleur, la température, la proprioception.
8 Noyaux du trijumeau : structures nerveuses compactes au niveau du tronc cérébral, le noyau moteur, sensitif et mésencéphalique forme un complexe, le noyau mésencéphalique véhicule la proprioception liés aux muscles innervés par le nerf trijumeau (comme le muscle tenseur du tympan et muscles masseter par exemple).
2 Déafférentation : déconnexion entre les cellules cochléaires et le nerf auditif qui transmet le son au cerveau
3 Signal neuronal : information nerveuse transmise ou reçue entre les cellules nerveuses
4 Réorganisation corticale : réorganisation du cerveau
5 Privation sensorielle lésionnelle : qui se rapporte à un dommage définitif sur les organes des sens, aux structures nerveuses qu’ils mettent en jeu et aux messages qu’ils véhiculent.
6 IRMf : méthode d’imagerie utilisée en recherche pour visualiser sur un cerveau standard les régions du cerveau activées par une tache particulière ou à l’état de repos
7 Somesthésique ou somato-sensoriel : la somesthésie (dite aussi sensibilité du corps) constitue un des systèmes sensoriels de l’organisme. Elle comporte le toucher, la douleur, la température, la proprioception.
8 Noyaux du trijumeau : structures nerveuses compactes au niveau du tronc cérébral, le noyau moteur, sensitif et mésencéphalique forme un complexe, le noyau mésencéphalique véhicule la proprioception liés aux muscles innervés par le nerf trijumeau (comme le muscle tenseur du tympan et muscles masseter par exemple).
- L’oreille moyenne structure intégrée au système d’informations sonores
La concomitance de la perte auditive et de l’acouphène est tellement
forte dans les cas de traumatismes acoustiques que l’évidence d’une
relation directe entre les altérations des cellules de l’audition et
l’acouphène a été bien ancrée dans l’espace de nos certitudes. Ainsi,
pendant plusieurs décennies les études sur l’acouphène ont été
focalisées essentiellement et tout naturellement sur l’organe qui
possède nos cellules auditives, c’est-à-dire la cochlée. Cependant la
réalité clinique comme nous l’avons montré s’est heurtée terriblement à
cette évidence qui s’est avérée ne plus en être une. En effet, perte
auditive et acouphène n’allaient pas toujours de pair comme nous l’avons
vu dans de nombreuses situations, et ceci même pour l’acouphène du
traumatisme sonore.
Notre audition (le système auditif), malheureusement ne se résume pas à l’état de l’organe cochléaire dans l’oreille interne car l’onde physique sonore qui atteint notre oreille doit passer par d’autres structures : le pavillon définissant l’oreille externe et par une structure faite d’une peau spéciale (le tympan), de petits osselets, de muscles, de ligaments et d’un tube cartilagino-muqueux (la trompe d’Eustache), l’ensemble de la structure étant dénommé : l’oreille moyenne.
Notre audition (le système auditif), malheureusement ne se résume pas à l’état de l’organe cochléaire dans l’oreille interne car l’onde physique sonore qui atteint notre oreille doit passer par d’autres structures : le pavillon définissant l’oreille externe et par une structure faite d’une peau spéciale (le tympan), de petits osselets, de muscles, de ligaments et d’un tube cartilagino-muqueux (la trompe d’Eustache), l’ensemble de la structure étant dénommé : l’oreille moyenne.
Cette structure de l’oreille moyenne fait partie intégrante du
système auditif qui transmet les sons, les précise, les localise et les
module.
L’innervation sensitive de l’oreille moyenne est capable d’envoyer
des informations au cerveau en lien avec l’audition mais en dehors de la
voie auditive pure stricte.
Cette structure est mobile et vibre avec des mouvements spécifiques
en fonction des ondes physiques acoustiques graves ou aigües. Quand la
pression acoustique devient élevée, un système réflexe protecteur de
synergie musculaire se met en place avec deux rôles essentiels :
1 - limiter les bruits de basses fréquences pour ne pas distendre la chaîne des osselets,
2 - permettre une amélioration des signaux d’alerte et /ou des signaux
vocaux dans le bruit par une meilleure localisation des sources. La
trompe d’Eustache également va jouer un rôle important dans l’équilibre
des pressions pour préserver la structure et transmettre une bonne
qualité de sons. Néanmoins, ce système est très fatigable et
l’exposition répétée et forte au bruit et surtout au bruit rythmique
impulsionnel (comme celui des armes à feu, ou de certaines musiques
techno) peut perturber le bon équilibre physiologique de ce système
subtil. Mais toute pression ou tension maintenue anormalement serait
susceptible de générer une hyperexcitabilité dans ce système conduisant à
un dysfonctionnement de type acouphénique. Le territoire du nerf
trijumeau serait essentiellement concerné, le muscle tenseur du tympan
étant innervé par sa branche mandibulaire.
C’est pourquoi dans le traumatisme sonore, il est envisageable que
deux mécanismes soient perturbés ou altérés soit simultanément, mais en
parallèle, soit plus ou moins séparément, l’un au niveau de l’oreille
interne générant la perte auditive (par la voie auditive), l’autre au
niveau de l’oreille moyenne (par la voie somatosensorielle
proprioceptive) générant l’acouphène. Ce qui n’exclut nullement des
interactions réciproques entre ces deux systèmes. Ce
serait une des raisons qui fait qu’il est difficile pour les chercheurs
et les cliniciens de faire claire la part de l’un et de l’autre.
Il est important de savoir que les travaux de Vass Z et Shore S ont
apporté des recherches essentielles à ce modèle, montrant que le système
somatosensoriel en rapport avec le complexe trigéminal pourrait avoir
un rôle dans l’acouphène du traumatisme sonore. En effet,
Vass Z a montré que l’innervation sensitive de la cochlée provenait
essentiellement de la branche ophthalmique et un peu de la branche
maxillaire du nerf trijumeau, alors que l’innervation de l’oreille
moyenne et de la trompe d’Eustache provenait de sa branche mandibulaire.
Susan Shore montre qu’après un traumatisme sonore l’hyperactivité
neuronale provient essentiellement d’une stimulation en relation avec la
branche mandibulaire et non de la branche ophthalmique, donc
certainement plus de l’oreille moyenne que de la cochlée. D’autre part,
une publication de 1998 démontre clairement par un marquage rétrograde
enzymatique 9 des neurones (Horseradish peroxidase) que les motoneurones10 du
muscle tenseur du tympan (oreille moyenne) connectent les noyaux
cochléaires dorsal et ventral pouvant expliquer ainsi l’hyperactivité
des noyaux cochléaires quelques semaines après un traumatisme sonore.
Il est à noter que tous les antécédents inflammatoires et
traumatiques de l’oreille moyenne vont rendre vulnérable, s’ils ne sont
pas traités très précocement, la physiologie de cette chaîne
membrano-ostéo-ligamentaire. En effet, au cours de l’enfance, les otites
moyennes sont très fréquentes et il a été montré, chez les adultes
ayant eu des épisodes répétés d’otites moyennes ou sévères, qu’ils sont
plus susceptibles de développer une perte auditive importante et des
acouphènes marqués à l’exposition au bruit que d’autres personnes
n’ayant pas cet antécédent, s’il n’ont pas été traités précocement.
D’autre part, une inflammation ou une douleur de l’oreille moyenne (otalgie), font que les sons font mal et qu’ils sont ressentis plus forts car la sensibilité des récepteurs a été modifiée (hyperacousie), ce qui est le cas lors d’une otite, par exemple.
D’autre part, une inflammation ou une douleur de l’oreille moyenne (otalgie), font que les sons font mal et qu’ils sont ressentis plus forts car la sensibilité des récepteurs a été modifiée (hyperacousie), ce qui est le cas lors d’une otite, par exemple.
- Comment l’oreille moyenne pourrait-elle produire un acouphène ?
Nos dernières études en imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle (IRMf) avec une IRM 3 Tesla et en haute résolution, visant
à déterminer les anomalies d’activations cérébrales chez des personnes
ayant des séquelles de traumatismes sonores (militaires en activité),
nous ont montré qu’une petite région cérébrale du cortex
pariéto-insulaire (OP3)11
droit en regard du cortex auditif primaire était hyperactivée par
rapport à des personnes sans acouphènes. Cette hyperactivation était en
corrélation avec la périodicité de leurs acouphènes.
Il se trouve que cette région cérébrale se situe au voisinage de la
région activée lors de la mise en mouvement de la chaîne
tympano-ossiculaire de l’oreille moyenne par de faibles variations de
pression. Cette étude était la première à avoir localisé au niveau du
cerveau les mouvements passifs de la plus petite articulation de notre
corps. Cette région (BA 43)12 est également impliquée dans la gustation et la déglutition.
Coïncidence ou non, au cours de l’évolution il semblerait que les
osselets de l’oreille moyenne (os, muscles et ligaments) soient dérivés
d’une mâchoire primitive de reptile mammaliforme (Morganucodon), cette
mâchoire ayant régressée au cours de l’évolution chez des mammaliens,
puis chez l’homme pour produire les osselets de l’oreille moyenne. Ainsi
la représentation des mouvements de la chaîne des osselets, proche de
la zone corticale de l’activité orofaciale (mastication et déglutition),
pourrait faire sens. Ceci nous a conduit à envisager une hypothèse
nouvelle pour expliquer l’origine de l’acouphène, celle de l’implication
possible de la voie de la proprioception kinesthésique13 de l’oreille moyenne.
9 marquage rétrograde
enzymatique : méthode de recherche en biologie utilisant des enzymes
permettantde suivre visuellement les structures nerveuses connectées
10 Motoneurones : fibres nerveuses innervant les muscles ayant un rôle dans leur contraction
11 Cortex parieto-insulaire (OP3) : région du cerveau à la jonction entre cortex pariétal et l’insula, il est définit désormais comme l’operculum (OP). avec quatre sous-régions allant de l’OP1 à l’OP4. L’OP3 est la région impliquée dans l’acouphène.
12 BA 43 : dans le cerveau, l’aire de Brodmann 43 est considérée comme étant l’aire de la gustation incluant dans cette activité la déglutition. Mais également impliquée dans les mouvements du tympan et le fonctionnement de la chaîne tympano-ossiculaire (tympan et osselets) de l’oreille moyenne.
13 Proprioception kinesthésique : désigne la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps. Elle est due à des fibres très spéciales dans nos muscles (propriocepteurs), la perturbation de ces fibres peut générer des illusions.
10 Motoneurones : fibres nerveuses innervant les muscles ayant un rôle dans leur contraction
11 Cortex parieto-insulaire (OP3) : région du cerveau à la jonction entre cortex pariétal et l’insula, il est définit désormais comme l’operculum (OP). avec quatre sous-régions allant de l’OP1 à l’OP4. L’OP3 est la région impliquée dans l’acouphène.
12 BA 43 : dans le cerveau, l’aire de Brodmann 43 est considérée comme étant l’aire de la gustation incluant dans cette activité la déglutition. Mais également impliquée dans les mouvements du tympan et le fonctionnement de la chaîne tympano-ossiculaire (tympan et osselets) de l’oreille moyenne.
13 Proprioception kinesthésique : désigne la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps. Elle est due à des fibres très spéciales dans nos muscles (propriocepteurs), la perturbation de ces fibres peut générer des illusions.
- Qu’est-ce que la proprioception kinesthésique ?
C’est un réseau de capteurs (propriocepteurs) au sein de nos muscles
qui donnent en permanence au cerveau l’état de position angulaire,
d’amplitude d’élongation, de vitesse d’élongation de nos muscles afin
d’adapter et de coordonner nos mouvements dans le but d’une action
précise consciente ou tout à fait inconsciente, et cette dernière est
capable de générer des illusions perceptives. Les propriocepteurs sont
enfouis dans nos muscles. Ce sont les fibres intrafusales.
En ce qui concerne l’oreille moyenne, c’est le mouvement vibratoire
de l’oreille moyenne qui est à l’origine de la transmission des sons.
Par conséquent, si une vibration tendineuse spécifique est réalisée au
niveau des tendons du tenseur du tympan ou du muscle stapédien,
l’illusion produite devra tout naturellement produire une illusion de
perception de sons au niveau du cerveau, similaire à la perception d’une
illusion d’écriture ou de geste d’un de nos membres. Elle laisse
également la possibilité de produire des sons à des fréquences diverses
comme nous le verrons plus loin. Cette illusion, message erroné
interprété par le cerveau s’impose à nous, car nous n’avons aucun
contrôle ni visuel, ni moteur de cette articulation. L’articulation de
l’oreille moyenne réagit à des contraintes vibratoires et des
contraintes passives d’étirement. Ce modèle fait l’hypothèse que la
gamme de fréquences des sons rapportée dans l’acouphène soit codée et
maintenue par le système kinesthésique.
En effet, il a été montré que chaque gamme de fréquences imprime au
niveau du tympan des pressions localisées à différents endroits sur la
membrane tympanique.
Derrière le tympan, pour chaque gamme de fréquences appliquée, l’articulation tympano-ossiculaire impose des tensions spécifiques à ses fibres musculaires intrafusales, impliquant des décharges nerveuses spécifiques au sein de ces fibres.
Derrière le tympan, pour chaque gamme de fréquences appliquée, l’articulation tympano-ossiculaire impose des tensions spécifiques à ses fibres musculaires intrafusales, impliquant des décharges nerveuses spécifiques au sein de ces fibres.
Ceci implique que pour qu’il n’y ait pas de son produit, le système
des deux muscles stapédien et tenseur du tympan soit en parfait
équilibre (homeostasie), or il est plus que probable, que chez tout un
chacun ce système ne soit pas en équilibre vraiment parfait et qu’un
petit son illusion existe même chez des oreilles dites saines, mais nous
n’en avons pas conscience, car très faible et hors de la gamme de
fréquences habituellement entendue. De plus, il est bien mis en
arrière-plan quand l’environnement sonore est bien perçu. Aussi qui n’a
pas fait l’expérience d’une oreille qui siffle quelques secondes assez
fortement, son saillant de l’environnement sonore, puis disparait.
Est-ce pathologique pour autant ? Rien à voir avec une lésion
cochléaire, qui produit pourtant le même type de sons qu’après un
traumatisme sonore. Ce son transitoire effectivement perçu peut-être
extrêmement fort et n’aurait rien de psychologique, il serait dans notre
modèle une auto-excitabilité anormale transitoire d’une fibre
intrafusale, entraînant un message trompeur dans la région du cerveau
qui intègre les informations proprioceptives du système auditif.
Néanmoins, un acouphène très léger chez une personne agée, pourrait
être considéré comme un acouphène physiologique. En effet, étant donné
le vieillissement général de la physiologie musculaire, la baisse
naturelle de l’audition et l’anxiété associé, l’équilibre fonctionnel de
cette chaîne peut-être légèrement modifié et l’environnement sonore
étant moins bien perçu (perte auditive), le petit son produit par ce
léger déséquilibre kinesthésique pourrait être perçu de façon plus
marquée. L’effet bénéfique des prothèses auditives sur l’acouphène
permettrait l’habituation car proposerait une restauration sonore de
l’environnement chez les personnes âgées, et en particulier de la
fonction d’alerte qui permet de s’orienter, le petit son de l’acouphène
n’étant plus le sujet d’attention privilégié car infime dans
l’environnement restauré. La baisse du niveau d’anxiété associée pouvant
même faire objectivement diminuer l’acouphène (baisse de l’activité de
l’innervation sympathique de la fibre intrafusale).
Dans les traumatismes sonores, il n’en est pas de même. La
physiologie normale de l’oreille moyenne a été dépassée et la chaîne
tympano-ossiculaire à tendance à garder l’empreinte d’une perturbation
kinesthésique.
- La mise en évidence par IRMf d’une région de l’OP3 impliquée dans les illusions proprioceptives kinesthésiques et l’acouphène
Nous avons pu montrer dans l’une de nos expériences, comme pour les
expériences dupant les propriocepteurs des membres, que la stimulation
des propriocepteurs de l’oreille moyenne durant 3 minutes par des clicks
à des fréquences spécifiques, génère une illusion sonore transitoire de
type sons aigus.
Il a été possible d’imager par IRM fonctionnelle une région cérébrale
répondant à ce son fantôme transitoire, faisant la preuve qu’un son
illusion peut être émis en activant la proprioception de l’oreille
moyenne, le cortex auditif ne répondant pas à cette sollicitation.
Cette même région cérébrale, l’OP3 droit, avait déjà été observée
comme hyperactivée chez les personnes acouphéniques (antécédent de
traumatismes sonores) par rapport à un groupe témoin. Des études sont en
cours pour analyser la connectivité fonctionnelle de cette région aux
autres régions cérébrales.
- Pourquoi la région de l’OP3 droit n’a-t-elle pas été mise en évidence
dans les autres études d’imagerie cérébrale fonctionnelle ?
La région operculaire OP3 (Figure 6)
est juste en regard d’une région auditive (gyrus de Heschl qui est
connu comme appartenant au cortex auditif primaire). Dans de nombreuses
études en imagerie fonctionnelle, l’OP3 est englobé dans la région du
cortex auditif car les méthodes d’analyse des images comportent
généralement une résolution qui ne permet pas de différencier le cortex
auditif et l’OP3 et qui ont conduit à ignorer cette région. De plus, les
études sur les régions operculaires pariétales chez l’homme sont
relativement récentes, l’OP2 par exemple a été montré en relation avec
l’organe de l’équilibre (équivalent de la région vestibulaire
parieto-insulaire chez le singe) qu’en 2006.
Figure 7 : Schéma
d’un mécanisme plausible de génération de l’acouphène, montrant la voie
ascendante parallèle somatosensorielle activée conjointement à la voie
auditive ascendante désactivée conduisant à la perte auditive.
- Que connaît-on de la proprioception kinesthésique de l’oreille moyenne ?
Pratiquement rien, sinon que cette proprioception peut exister, car
les deux petits muscles de l’oreille moyenne possèdent des
propriocepteurs. Chaque propriocepteur (fibre intrafusale) à partir de
son insertion sur la structure osseuse peut être plus ou moins sollicité
au gré des amplitudes de vibrations (tensions passives d’étirement) et
notamment si la pression acoustique est forte. Normalement les deux petits muscles se contractent de manière réflexe quand
la pression acoustique dépasse un certain seuil (environ 70-75 dB), le
réflexe pouvant d’ailleurs être déclenché par un étirement rapide d’un
des tendons ou même par anticipation d’un son fort. Le réflexe a pour
but essentiel de protéger l’articulation contre une distension
articulaire qui serait dommageable, afin d’optimiser la transmission des
sons et d’assurer une bonne séparation du signal informatif du bruit de
fond.
Lorsque ce réflexe est trop sollicité par la contraction répétée de
ces muscles, tout comme les autres membres du corps, le système ne
répond plus correctement et peut se laisser étirer anormalement
dépassant les limites physiologiques. Si la récupération plastique de
ces muscles n’est pas parfaite et/ou si elle est faite de manière
asymétrique, elle va entraîner un déséquilibre subtil dans la
conformation angulaire de l’articulation, générant une vibration
tendineuse artificielle se rapprochant d’une vibration acoustique
réelle. Le cerveau sera alors trompé et l’interprétera comme un son. Il
se peut alors que chaque exposition au bruit réactive au fur et à mesure
cette déformation jusqu’à produire un son gênant permanent, voir même
déclencher une otalgie qui peut être intermittente (comme pour une
tendinite ou une entorse). Cette fatigue de l’oreille moyenne permet à
l’énergie acoustique de pénétrer sans résistance au niveau de la cochlée
(organe sensoriel de l’audition) et peut conduire à un endommagement
d’autant plus sévère des cellules cochléaires (perte même non visible au
départ sur l’audiogramme) activant les récepteurs à la douleur dans le
territoire sensoriel, dont l’expression serait l’hyperacousie, qui
serait une réponse sensorielle de l’oreille moyenne, signe que la
cochlée est en danger, parce que l’oreille moyenne souffre. Sa présence
permettrait de signifier au corps qu’il faut qu’il ne s’expose pas trop
aux sons intenses. Ce serait un peu comparable au ressenti quand on
touche une peau saine par rapport à une peau blessée.
D’autre part, la voie proprioceptive associée à l’oreille moyenne et
faisant intervenir le complexe des noyaux trigéminés, peut également
être perturbée par une compression (voir figure 8)
ou une altération du nerf trijumeau (V) du nerf mandibulaire dans la
région. L’opération d’un neurinome ou schwannome de l’acoustique
pourrait, de ce fait, faire céder l’acouphène ou générer un acouphène en
fonction de l’acte chirurgical.
- Quelles sont les implications thérapeutiques ?
Les thérapies locales ou cérébrales seraient à développer. Il est
clair que même si ce nouveau modèle pour le mécanisme de l’acouphène
s’avérait proche de la réalité physiopathologique, ce n’est pas pour
cela que le traitement en serait évident. En effet, la stimulation des
deux plus petits muscles de notre organisme nécessite une intervention
invasive pour les approcher, car ils ne sont pas facilement accessibles.
D’autre part, la partie charnue du muscle tenseur du tympan, (là où
se trouve les fibres intrafusales) est cachée dans une loge osseuse et
une section des tendons ne garantirait pas la disparition immédiate de
la sensation. Une piste serait la pose de micro-stimulateurs dont il
faudrait rechercher la faisabilité technologique et le positionnement
sur une telle structure. Ceci impliquerait également la nécessité
d’étudier l’impact d’un tel système sur la physiologie et de tester
divers paramètres de stimulations.
De même, la réflexion en vue d’une thérapie kinesthésique rééducatrice n’est pas non plus immédiate, mais on pourrait supposer que celle-ci, sur des régions musculaires tendues au niveau de la mâchoire et de la nuque haute, puisse apporter un certain soulagement sur les acouphènes, agissant indirectement sur la musculature de l’oreille moyenne. Aussi, la stimulation magnétique transcrânienne de la région OP3 semble peu envisageable car trop profonde et serait vraisemblablement susceptible de produire des contractures douloureuses des mâchoires ce qui serait totalement contre-productif. Dans le cas d’acouphènes extrêmement invalidants chez des personnes en grande détresse allant d’échecs en échecs thérapeutiques et ne supportant plus leur calvaire, une solution par la stimulation cérébrale profonde pourrait être envisagée, car capable de cibler précisément la région suspectée dysfonctionnante. Si la région ciblée de l’OP3 se montrait porteuse d’espoir, elle permettrait le développement d’une toute nouvelle vision de ce symptôme, avec un nouvel horizon pour les orientations thérapeutiques, chez des personnes en échec d’habituation.
De même, la réflexion en vue d’une thérapie kinesthésique rééducatrice n’est pas non plus immédiate, mais on pourrait supposer que celle-ci, sur des régions musculaires tendues au niveau de la mâchoire et de la nuque haute, puisse apporter un certain soulagement sur les acouphènes, agissant indirectement sur la musculature de l’oreille moyenne. Aussi, la stimulation magnétique transcrânienne de la région OP3 semble peu envisageable car trop profonde et serait vraisemblablement susceptible de produire des contractures douloureuses des mâchoires ce qui serait totalement contre-productif. Dans le cas d’acouphènes extrêmement invalidants chez des personnes en grande détresse allant d’échecs en échecs thérapeutiques et ne supportant plus leur calvaire, une solution par la stimulation cérébrale profonde pourrait être envisagée, car capable de cibler précisément la région suspectée dysfonctionnante. Si la région ciblée de l’OP3 se montrait porteuse d’espoir, elle permettrait le développement d’une toute nouvelle vision de ce symptôme, avec un nouvel horizon pour les orientations thérapeutiques, chez des personnes en échec d’habituation.
CONCLUSION
Si la région ciblée de l’OP3 se montrait porteuse d’espoir, elle permettrait le développement d’une toute nouvelle vision de ce symptôme, avec un nouvel horizon pour les orientations thérapeutiques, chez des personnes en échec d’habituation.
Références
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1 commentaire
Arris
Mardi 02 Jan 2024
Cet article date de 2017 et après 7 ans est ce que le systeme Lenire est une veritable solution?