Recherche sur l’acouphène : Quoi de neuf ?
Recherche sur l’acouphène : Quoi de neuf ?
Berthold Langguth - Interdisciplinary Tinnitus Clinic, University of Regensburg, Germany Universitaetsstraße 84
Article spécialement écrit pour France Acouphènes
par Berthold Langguth- Traduction française : Sylviane Chéry-Croze -Une
publication dans la prestigieuse revue Nature a, à la mi-janvier 2011 ,
déclenché l’intérêt des médias et - bien entendu - le nôtre puisqu’il
pourrait s’agir d’une nouvelle piste de traitement pour les acouphènes.
FA - 74 - 4 e T R I M E S T R E 2 0 1 1
Introduction
Pendant des décennies, les mécanismes sous-tendant les
acouphènes sont restés inconnus. On supposait que les acouphènes étaient
générés dans l’oreille interne. Cependant, aucun « générateur
d’acouphènes » n’avait pu être localisé dans l’oreille interne. De plus,
tous les concepts de traitement visant à induire des changements
thérapeutiques dans l’oreille interne avaient échoué dans l’amélioration
des acouphènes.
Dans les cas désespérés, le nerf auditif des patients
acouphéniques était sectionné, mais cela ne se traduisait pas par une
réduction de l’acouphène - comme cela aurait dû se produire si les
acouphènes étaient bien générés dans l’oreille interne - mais plutôt par
une augmentation de l’acouphène.
Les modèles animaux et les premières études de
neuro-imagerie des patients acouphéniques dans les années 1990 ont mis
en évidence l’existence d’altérations dans le système nerveux central.
Ces résultats furent à l’origine d’un changement de
paradigme (1) dans la recherche sur les acouphènes dans le sens où la
recherche ne se limita plus à l’oreille, mais inclut également le
système nerveux central.
Ainsi, la recherche sur les acouphènes devint une discipline neuroscientifique.
Ce changement de paradigme se traduisit par des progrès
substantiels dans la compréhension des mécanismes impliqués dans la
génération de l’acouphène et ses symptômes connexes. Cet
approfondissement de la compréhension a conduit à un nombre croissant de
nouvelles idées de stratégies de traitement potentiel, qui sont
actuellement en cours de développement.
Ceci est attesté par le nombre croissant d’études sur
l’acouphène publiées dans les revues les plus prestigieuses des
neurosciences, mais aussi par la quantité impressionnante de recherches
de haute qualité présentées au congrès du Tinnitus Research Initiative
de cette année, réunion qui s’est tenue sous le thème « Neuroscience de
l’acouphène » et qui a intéressé plus de participants qu’on ne pouvait
en loger sur le site de la conférence. On peut trouver plus
d’informations sur ce congrès ainsi que le livre des résumés sur le site
: www.tinnitusresearch.org (en anglais).
L’objectif de cet article est de donner un aperçu des
avancées les plus récentes dans la compréhension des mécanismes
impliqués dans la génération de l’acouphène et de ses comorbidités ( 2
), mais aussi des progrès récents dans le diagnostic et le traitement
des acouphènes.
Les acouphènes sont-ils fréquents ?
On a toujours su que l’acouphène était un trouble
fréquent. Toutefois, les données provenant d’études épidémiologiques ont
été quelque peu contradictoires.
Deux études fondées sur des populations importantes ont
démontré que les acouphènes s’observent très fréquemment dans la
population.
Plus de vingt cinq pour cent (25,3 %) des adultes
américains ont des acouphènes et 7,9 % de la population en font souvent
l’expérience (Shargorodsky, Curhan, & Farwell 2010).
Dans une grande enquête norvégienne de plus de 50 000
adultes, 21,3 % des hommes et 16,2 % des femmes ont déclaré être gênés
par leurs acouphènes, dont respectivement 4,4 % et 2,1 %, rapportaient
des acouphènes de forte intensité (Krog, Engdahl, & Tambs 2010).
Ces études sont importantes car elles démontrent que l’acouphène est un problème très fréquent.
Ces chiffres peuvent être utiles pour convaincre d’une
part les autorités sanitaires que les acouphènes sont un problème de
santé de pertinence socio-économique élevée et d’autre part l’industrie
de la santé d’investir dans la recherche sur les acouphènes. De plus,
l’acouphène est devenu un enjeu politique majeur aux États-Unis, car les
acouphènes et la perte auditive constituent la plainte de santé la plus
fréquente des soldats qui reviennent d’Afghanistan et d’Irak, ce qui
entraîne des indemnités annuelles de compensation pour acouphènes et
perte auditive de plus de 2 milliards de dollars américains par an
(Yankaskas 2011).
En Europe aussi, il existe une motivation croissante
pour le financement de la recherche sur les acouphènes avec l’objectif
de développer des options de traitement plus satisfaisantes dans le
futur.
Il existe différents acouphènes
L’acouphène est classé selon que le bruit perçu :
- a sa source dans le corps du patient, on parle alors
d’acouphène objectif ou bruit somatique (par exemple,les
contractionsmyocloniques (3) du muscle du marteau ou les pulsations des
vaisseaux sanguins) ;
- seulement par le patient et n’a pas de source sonore spécifique. Il se définit comme un acouphène subjectif.
L’acouphène objectif est très rare, mais certains de ces
cas rares d’acouphènes objectifs, il est possible de traiter la cause.
C’est pourquoi il est important que les cas d’acouphènes objectifs ne
soient pas négligés. Les acouphènes subjectifs aussi, peuvent présenter
beaucoup de formes différentes. ils peuvent correspondre à un
bourdonnement continu, des sifflements ou des tintements, ou à une
combinaison de ces derniers ou bien d’autres caractéristiques. Ils
peuvent être entendus dans une ou les deux oreilles, mais peuvent
également être rapportés à la tête.
L’acouphène peut survenir de façon intermittente ou
avoir un caractère pulsatile. L’intensité du son fantôme peut varier
d’un bruit subtil juste au-dessus du seuil d’audition, à des sons de
forte intensité qui ne peuvent pas être masqués par un bruit externe.
L’attention portée à l’acouphène et les symptômes
accompagnant l’acouphène peuvent également varier. Son aspect acoustique
fait que le son fantôme est associé à un bruit indésirable, plus
communément connu comme des « bourdonnements dans les oreilles ».
L’aspect attentionnel reflète combien la personne est consciente du son.
En outre, il existe des composantes émotionnelles, cognitives et de mémoire de l’acouphène qui varient d’un patient à l’autre.
Beaucoup de patients acouphéniques rapportent des
symptômes tels que frustration, ennui, anxiété, dépression, irritation
et difficultés de concentration et ces symptômes sont très liés à la
sévérité perçue des acouphènes.
Le fait que les acouphènes peuvent avoir de nombreux
aspects signifie aussi que ces différentes formes ont des mécanismes
sous-jacents différents et nécessitent des traitements différents. Cela a
des conséquences sur la réalisation des essais cliniques.
Pour tenir compte de cette situation, il a été proposé
d’évaluer l’ensemble des caractéristiques cliniques potentiellement
pertinentes des patients acouphéniques dans les essais de traitement
clinique et de collecter lesdonnées dans de grandes bases de données.
Avec ces données, il pourrait être possible à l’avenir
d’identifier les caractéristiques qui prédisent unrésultat positif du
traitement pour des thérapies spécifiques (Landgrebe et coll. 2010).
Les modèles animaux d’acouphènes
Pourquoi les modèles animaux d’acouphènes sont-ils importants ?
Ils offrent la possibilité d’identifier exactement les
mécanismes neuronaux de la génération des acouphènes et de tester les
effets de traitements divers.
Mais comment peut-on induire des acouphènes chez les animaux ?
Il existe différentes possibilités pour induire un
acouphène chez l’animal. Les méthodes qui imitent le mieux la situation
de la plupart des patients acouphéniques est l’induction de l’acouphène
par un traumatisme sonore.
Comment pouvons-nous savoir si un animal perçoit l’acouphène ou pas ?
Différentes méthodes ont été développées pour ce faire.
Elles ont en commun que l’on suppose que les animaux qui ont des
acouphènes ne perçoivent plus de périodes silencieuses. En entraînant
les animaux à effectuer un comportement spécifi que (par exemple boire)
pendant les périodes silencieuses, on peut évaluer après la manipulation
censée induire des acouphènes, si les animaux en perçoivent ou non.
Ces dernières années, une méthode sophistiquée a été
développée, qui ne nécessite aucun apprentissage (Turner 2007) : un
silence dans un signal sonore environnemental signale l’arrivée d’un son
fort. Si ce silence avertisseur est détecté par l’animal, sa réaction
de sursaut au bruit fort est réduite, ce qui n’est pas le cas s’il n’est
pas perçu.
De nombreuses études ont démontré que cette méthode permet de déterminer si un animal perçoit un acouphène ou pas.
Savons-nous si les animaux souffrent aussi de leur acouphène ?
Il est plus difficile de répondre à cette question. Des
études très récentes, ont montré des changements de comportement chez
les animaux acouphéniques qui ressemblent à ceux trouvés dans les
modèles animaux d’anxiété et de dépression (Zheng et coll. 2011). Mais,
d’autres travaux sont nécessaires pour déterminer si ces changements
reconstituent, au moins dans une certaine mesure, la souffrance des
patients acouphéniques.
Comment les modèles animaux peuvent-ils aider à trouver de nouveaux traitements ?
Chez les animaux, il est par exemple possible
d’enregistrer l’activité électrique des différentes zones du cerveau en y
insérant des électrodes. Cela aide à identifier les mécanismes
impliqués dans la génération d’acouphènes. Encore plus important, on
peut tester l’effet des interventions thérapeutiques sur l’activité
cérébrale.
Des études très récentes ont montré queles changements
de l’activité neuronale liés aux acouphènes peuvent être normalisés par
la stimulation électrique du cerveau (Zhang, Zhang, et Zhang 2010), des
médicaments spécifiques (Yang et coll. 2011) ou en combinant stimulation
auditive et stimulation du nerf vague (Engineer et coll. 2011).
Ces résultats ne peuvent pas encore prédire si ces
traitements seront également efficaces chez les patients atteints
d’acouphènes.
Mais ils prouvent que les traitements proposés sont en
principe capables de guérir les acouphènes et ils fournissent tout
d’abord une base très prometteuse pour des études cliniques, et ensuite
des informations sur des détails importants des traitements spécifiques.
Ainsi, en résumé, les progrès des modèles animaux dans
les dernières années ont apporté des contributions importantes à une
meilleure compréhension de l’acouphène et ces modèles sont récemment
devenus une méthode importante dans le développement de nouveaux
traitements.
Qu’est-ce qui est différent dans le cerveau des patients acouphéniques ?
Beaucoup de techniques d’imagerie structurale et
fonctionnelle ont été utilisées pour identifier les structures du
système nerveux central qui sont censées jouer un rôle important dans la
physiopathologie de nombreuses formes d’acouphènes.
Les méthodes de neuroimagerie fonctionnelle de la
résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et de la tomographie par
émission de positons (TEP) permettent de mesurer les modifications
régionales du débit sanguin cérébral, lequel représente une mesure
indirecte de l’activité neuronale.
L’électroencéphalographie (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG) mesurent directement l’activité neuronale.
Des altérations des voies auditives centrales ont déjà été montrées il y a 15 ans chez les patients acouphéniques.
Cependant, ce n’est que très récemment que des études de
neuroimagerie ont été systématiquement utilisées pour différencier les
différentes formes d’acouphènes (unilatéral ou bilatéral, son pur ou
bruit, associé à plus ou moins de détresse, ancienneté plus courte ou
plus longue) (Schecklmann et coll. 2011 ; Vanneste, Van de Heyning,
& De Ridder 2011).
Il a été démontré que toutes ces formes diffèrent dans
leur type d’activité cérébrale, en particulier dans les zones non
auditives du cerveau. De plus, les changements d’activité cérébrale liés
à l’acouphène aiguë après un traumatisme sonore ont été étudiés pour la
première fois (Ortmann et coll. 2011) et il a été constaté qu’ils
diffèrent sensiblement de ceux des acouphènes chroniques. EEG et MEG ont
révélé des résultats cohérents à travers de nombreuses études dans le
sens où, en présence d’acouphènes, le mode d’activité normale du cortex
auditif est modifié.
Dans le cortex auditif des patients acouphéniques
l’activité alpha (4) est réduite, alors que les activités delta ( 5 ) et
gamma ( 6 ) sont accrues.
Un traitement qui réussit renverse ces anomalies, ce qui
indique qu’elles représentent le corrélat neuronal de l’intensité des
acouphènes.
La neuroimagerie est-elle utile pour le diagnostic clinique ?
Même si les études de neuroimagerie ont largement
contribué à la compréhension de l’acouphène et que leur utilité pour
mesurer les changements d’activité cérébrale induits par la réussite
d’un traitement n’est plus à prouver (Tass et coll. 2011), la
neuroimagerie n’a pas encore été développée à un niveau tel qu’elle
serait utile dans le diagnostic clinique.
Des modes spécifiques de l’activité cérébrale ont été
identifiés comme des facteurs prédictifs pour des traitements
spécifiques (Vanneste et coll. 2011), mais davantage d’études sur des
échantillons de grande taille seront nécessaires à l’avenir pour savoir
si les méthodes de neuroimagerie auront le potentiel pour prédire le
succès de l’utilisation de différents traitements.
Comment l’acouphène est-il généré ?
Dans la plupart des cas, l’acouphène est lié à des
problèmes d’audition. Cependant, ce ne sont pas les problèmes d’audition
eux-mêmes qui provoquent des acouphènes. L’acouphène est plutôt le
résultat de la réaction du cerveau à une audition défaillante.
La plupart des problèmes d’audition sont liés aux
cellules ciliées de l’oreille interne qui sont responsables de la
transmission des hautes fréquences. Par exemple, la perte auditive
induite par le bruit ou liée à l’âge affecte préférentiellement les
hautes fréquences.
En conséquence, moins d’information est transmise au
cerveau sur la partie haute fréquence du son. Le cerveau à son tour,
tente de compenser cette réduction des entrées en augmentant le gain des
amplificateurs internes. Ce mécanisme est appelé « plasticité
homéostatique ( 8 ) ».
Depuis de nombreuses années, on débat pour savoir si
l’acouphène résulte de l’amplification des contrastes entre fréquences
voisines avec des différences dans les entrées.
Les données des modèles animaux d’acouphènes suggèrent
clairement que ce sont les mécanismes homéostatiques qui sont
responsables de la génération des acouphènes.
Il s’agit d’une étape importante dans la compréhension
des acouphènes en particulier depuis qu’une étude récente a identifié
les mécanismes moléculaires qui sont impliqués.
Ce mécanisme putatif de génération de l’acouphène est
également en accord avec l’observation clinique que, dans la plupart des
cas, la fréquence des acouphènes est dans la même zone fréquencielle
que la perte d’audition.
Par exemple, un patient avec une perte auditive induite
par un traumatisme sonore autour de 4 kHz perçoit aussi l’acouphène à 4
kHz. Cependant, l’acouphène n’est pas une maladie du seul système
auditif.
Jastreboff a déjà postulé il y a plus de 20 ans
(Jastreboff 1990), que la difficulté à ignorer l’acouphène, la gêne de
l’acouphène, l’anxiété que l’acouphène empire, l’irritabilité et les
difficultés de concentration sont liées aux changements fonctionnels
dans les systèmes du cerveau non-auditif.
Les études de neuroimagerie chez les patients
acouphéniques ont aidé à identifier les réseaux impliqués en détail (De
Ridder et coll. 2011). Ainsi, l’altération de l’activité dans les voies
auditives centrales n’est pas suffisante pour percevoir un acouphène.
Ceci explique que de nombreux patients ayant une perte
auditive (et par conséquent une activité accrue dans les voies auditives
centrales) ne perçoivent pas d’acouphène. Ce n’est que lorsque
l’activité auditive est reliée à l’activité d’un « réseau attentionnel »
que l’acouphène est consciemment perçu (De Ridder et coll. 2011).
Si cette activité est, de plus, accompagnée par
l’activation d’un « réseau de détresse » le patient perçoit la détresse
acouphénique.
Les études d’imagerie ont également démontré que la
région de l’hippocampe ( 9 ) , qui joue un rôle important pour la
mémoire, est impliquée dans les acouphènes chroniques.
Cette constatation indique qu’il y a peut-être une « mémoire des acouphènes », qui perpétue la perception de ces derniers.
La perception du signal de l’acouphène comme importante
et le maintien de l’attention sur les acouphènes, dépendent de
l’activation du « réseau pertinence » (De Ridder et coll. 2011). Une
forte pertinence du signal de l’acouphène peut à son tour augmenter le
niveau sonore perçu des acouphènes en provoquant l’amplification accrue
du signal dans les voies auditives (Rauschecker, Leaver & Mühlau
2010).
Ce mécanisme du cerveau principalement utile à
l’amplification des informations importantes se traduit, en cas
d’acouphènes, par un cercle vicieux qui contribue à la pérennisation du
symptôme.
Il est notamment important que les différents réseaux
cérébraux impliqués dans l’acouphène puissent différer d’un patient à
l’autre, selon ses caractéristiques cliniques spécifiques.
Ainsi par exemple chez les gens qui sont en état de
détresse à cause de leur acouphène, l’activité du cerveau qui est
pertinente pour la perception de l’acouphène est connectée à une
activité accrue dans le réseau de détresse. Par ailleurs des résultats
plus anciens, selon lesquels les modes d’activation du cerveau changent
avec l’augmentation de la durée de l’acouphène, ont été confirmés
(Schecklmann et coll. 2011; Vanneste, Van de Heyning, & De Ridder
2011) .
Cela souligne l’importance de différencier les différentes formes d’acouphènes.
La méthodologie des essais cliniques
Pourquoi la méthodologie des essais cliniques est-elle importante pour les patients atteints d’acouphènes ?
Seuls des essais cliniques aideront à connaître
l’efficacité des options de traitement. Par le passé, de nombreux
traitements ont été utilisés sans aucune preuve de leur efficacité.
Ainsi, des patients ont suivi des traitements, même si l’on ne disposait
d’aucune donnée claire apportant des informations sur leur efficacité.
Dans le cas de l’acouphène, la réalisation d’essais
cliniques n’est pas anodine pour de nombreuses raisons. D’abord,
l’acouphène est une condition purement subjective qui est difficile à
mesurer. Par ailleurs, l’acouphène a de nombreux aspects qui peuvent
être de pertinences différentes chez des patients différents. Un patient
peut être ennuyé par l’intensité de l’acouphène, d’autres patients par
le désagrément ou l’insomnie causés par les acouphènes. Par ailleurs des
traitements spécifiques peuvent être efficaces chez certains patients,
mais pas chez d’autres.
Dans les dernières années, des instruments d’évaluation
valides ont été développés pour évaluer les différents aspects de
l’acouphène.
De plus, on a recherché systématiquement quels
changements des scores des questionnaires sont cliniquement pertinents
(Zeman et coll. 2011). L’évaluation standardisée des caractéristiques
cliniques ainsi que la collecte systématique de ces données dans des
bases de données (Landgrebe et coll. 2010; Witsell et coll. 2011) vont
permettre de différencier les sous-formes de l’acouphène cliniquement
pertinentes.
Ces développements sont indispensables pour porter la
recherche clinique des acouphènes à un niveau méthodologique apportant
des informations sur les traitements efficaces, sur les aspects de
l’acouphène dans les sous-groupes d’acouphènes.
Cette information est essentielle pour le développement
ultérieur d’algorithmes fondés sur des preuves pour la prise en charge
des acouphènes (Hoare & Hall 2011; Langguth, Kleinjung, &
Landgrebe 2011; Searchfi eld 2011).
De plus, le développement de standards méthodologiques
pour les essais cliniques aidera à surmonter l’obstacle qui entrave
actuellement l’investissement des entreprises pharmaceutiques : une
norme internationalement acceptée pour les essais cliniques apportera
l’orientation requise pour l’approbation des médicaments nouvellement
développés contre les acouphènes.
Qu’est-ce qui est important dans le diagnostic de l’acouphène ?
Comme déjà mentionné, il existe plusieurs formes
d’acouphènes qui diffèrent par les mécanismes neuronaux impliqués. C’est
pourquoi le diagnostic différentiel est très important pour la prise en
charge des acouphènes.
D’abord, il est important que l’acouphène objectif soit différencié de l’acouphène subjectif.
Une forme typique de l’acouphène objectif est
l’acouphène pulsatile synchrone du cœur, souvent dû à des pathologies
vasculaires telles que les anévrismes artériels, les malformations
artérioveineuses, la sténose ( 10 ), les dissectionsdes vaisseaux ( 11 )
ou bien dû à un flux accru de sang (par exemple en cas d’anémie).
Ces sources sonores internes peuvent parfois aussi être perçues par d’autres (par exemple à l’auscultation).
Ainsi, dans toutes les formes d’acouphènes pulsatiles
potentiels, des tests diagnostiques doivent être réalisés afin
d’identifier les anomalies vasculaires.
Toujours pour l’acouphène subjectif, l’étiologie de
l’acouphène et les comorbidités (2) jouent un rôle important. C’est
pourquoi le diagnostic doit se concentrer sur l’étiologie de l’acouphène
et sur ses comorbidités.
Dans la plupart des cas, des problèmes d’audition sont
impliqués dans l’étiologie, mais chez de nombreux sujets des troubles
temporomandibulaires ou des problèmes de cou peuvent tout aussi bien
causer des acouphènes.
Dans ces circonstances, l’influx neuronal
somatosensoriel conduit à des anomalies dans les voies auditives
centrales, qui sont alors perçues comme des acouphènes.
Enfin, il faut considérer que chez de nombreux patients
la génération de l’acouphène est multifactorielle. Ainsi,n’importe
quellecombinaison d’entrées auditives et somatosensorielles altérées
avec une activité anormale dans les structures nerveuses centrales (par
exemple due à des lésions traumatiques ou ischémiques ( 12 ) ou à des
facteurs émotionnels) peut être pertinente pour la génération
del’acouphène.
Ainsi, l’acouphène qui disparaît normalement
spontanément pourrait se pérenniser en présence de stress associé (De
Ridder et coll. 2011).
Une telle origine multifactorielle peut être fréquente
dans l’acouphène post-traumatique, par exemple les acouphènes liés à une
explosion (Hoffer et coll. 2010). De plus, les facteurs impliqués dans
la production d’acouphènes peuvent être différents des facteurs liés à
la persistance de l’acouphène, comme illustré par le fait que de
nombreuses personnes perçoivent des acouphènes transitoires après un
traumatisme sonore, mais qu’ils ne deviennent permanents que chez
certaines d’entre elles seulement (Ortmann et coll. 2011).
Ainsi, divers facteurs étiologiques et les comorbidités
sont connues pour jouer un rôle dans les acouphènes et la plupart
conduisent vraisemblablement à des modes d’activité neuronale
physiopathologique spécifques. Un diagnostic exact est requis pour une
prise en charge thérapeutique la meilleure possible.
Quelle est l’efficacité des thérapies établies ?
Dans des études récentes, l’efficacité de nombreuses
thérapies largement utilisées a été analysée. Pour certaines formes de
traitement, des méta-analyses ont aussi été effectuées. Dans celles-ci,
les résultats des études contrôlées disponibles sont regroupés puis
réanalysés. Des résultats positifs pour les méta-analyses sont
généralement considérés comme la plus haute preuve d’efficacité.
Pour les thérapies cognitives et comportementales, deux
méta-analysesont démontré des effets bénéfiques sur les mesures de la
qualité de vie, mais pas sur l’intensité des acouphènes (Hesser et coll.
2010; Martinez-Devesa et coll. 2010).
Une analyse des différentes formes de thérapie sonore a
conduit à la conclusion que les études disponibles ne sont pas
suffisantes pour juger de l’effi cacité de cette forme de traitement
(Hoare et coll. 2011; Hobson, Chisholm,
Fait intéressant, les effets des aides auditives, qui
sont largement utilisées dans la gestion des acouphènes, n’ont été que
très peu étudiés par le passé. Une étude récente a montré que les seuls
patients qui bénéficient des aides auditives perçoivent leurs acouphènes
en dessous de 6 kHz, ce qui correspond à la gamme de fréquences dans
laquelle les appareils auditifs amplifient les sons.
Les patients percevant leurs acouphènes à des fréquences
plus hautes (sur lesquelles l’aide auditive n’amplifie plus) ne
ressentent aucune réduction de leurs acouphènes avec l’utilisation de
prothèses (Schaette et coll. 2010).
Actuellement, il n’existe pas de substance
pharmacologique approuvée par l’Administration fédérale des Aliments et
Drogues (FDA) ou l’Agence Européenne du Médicament (EMA) pour le
traitement des acouphènes (Elgoyhen & Langguth 2010).
Les antidépresseurs sont couramment utilisés dans les protocoles pharmacologiques pour la gestion des acouphènes.
Les résultats d’études portant sur les antidépresseurs
suggèrent que ces composés n’ont pas d’effet direct sur les acouphènes,
mais que les patients acouphéniques dépressifs et anxieux peuvent tirer
certains bénéfices de leur usage (Langguth et coll. 2011; Robinson,
Viirre, & Stein 2007).
Des médicaments traitant l’épilepsie ont également été
étudiés chez les patients acouphéniques, mais les études contrôlées
n’ont pas démontré de bénéfices supplémentaires par rapport au placebo
(Hoekstra et coll. 2011).
Ainsi, même si certains médicaments ont été signalés
comme apportant un soulagement modéré des symptômes dans un
sous-ensemble de patients, aucun médicament n’a encore prouvé une
efficacité suffisante dans des essais cliniques contrôlés randomisés
pour que son utilisation soit spécifiquement approuvée pour les
acouphènes.
Quelles sont les nouvelles options prometteuses de traitement ?
Des formes spécifiques de stimulation auditive ont été
développées pour le traitement des acouphènes. L’audition de musique
ayant une composition en fréquences personnalisée a été proposée pour le
traitement des acouphènes (Stracke, Okamoto, & Pantev 2010).
Dans le détail, la musique individualisée a été modifiée
de manière à ce que la zone des fréquences autour de la tonalité perçue
de l’acouphène soit supprimée (voir figure 2a).
En comparaison avec une condition contrôle, la
stimulation quotidienne avec une telle musique taillée sur mesure a
entraîné une réduction significative du niveau sonore des acouphènes
après un an d’utilisation (Okamoto et coll. 2010).
Cette amélioration clinique s’accompagne d’une réduction
de l’activité évoquée du cortex auditif liée à l’acouphène. Très
récemment, la stimulation de réinitialisation coordonnée (Tass &
Hauptmann 2007) a été proposée pour le traitement des acouphènes.
Fondés sur la modélisation computationnelle, des stimuli
auditifs personnalisés au-dessus et en-dessous de la fréquence des
acouphènes sont présentés sous forme de sons courts dans le but de
renormaliser la synchronie neuronale pathologique liée aux acouphènes
(voir figure 2b).
Une étude pilote a démontré des réductions
significatives de l’intensité, de la gêne et de la sévérité des
acouphènes, ainsi qu’une normalisation de l’activité oscillatoire
anormale (Tass et coll. 2011).
Les implants cochléaires peuvent restaurer l’audition
chez les patients sourds profonds. La surdité profonde est fréquemment
accompagnée d’acouphènes. Tandis que l’indication classique des implants
cochléaires était une perte auditive bilatérale, de nouvelles études
ont démontré que les implants cochléaires unilatéraux peuvent avoir des
effets très bénéfiques sur les acouphènes des patients présentant une
surdité profonde d’un seul côté en même temps que des acouphènes
invalidants ipsilatéraux .( 13 ) (Kleinjung et coll. 2009; Van de
Heyning et coll. 2008).
Parmi les nouvelles approches pharmacologiques les
résultats les plus prometteurs viennent d’une étude à grande échelle
avec la substance Neramexane® qui bloque les récepteurs NMDA ( 14 )
glutamatergiques ( 15 ) ainsi que les récepteurs cholinergiques( 16 )
particuliers (Suckfuell et coll. 2011).
Cette substance est actuellement encore l’objet de plusieurs études de phase III (cf LRFA n° 67).
Diverses techniques de stimulation cérébrale sont
actuellement l’objet d’investigations. L’idée de cette approche est de
normaliser l’activité perturbée du réseau neuronal qui sous-tend les
acouphènes.
Les premières tentatives ont stimulé le cortex auditif
soit par stimulation magnétique transcrânienne (voir figure 3)(SMTr;
Langguth et coll. 2008), soit par stimulation transcrânienne à courant
continu (STCC; Garin et coll. 2011), soit par des électrodes implantées
(De Ridder et coll. 2011).
Des études récentes de neuroimagerie ont identifié les
diverses zones du cerveau impliquées dans le « réseau acouphènes » (De
Ridder et coll. 2011; Schlee et coll. 2009).
La stimulation de ces zones par STCC (Frank et coll.
2011; Vanneste et coll. 2010), et par SMTr (Vanneste et coll. 2010) a
entraîné la réduction des acouphènes chez certains patients. Alors que
la stimulation par des électrodes implantées ou par pharmacothérapie
peut être effectuée de façon permanente, la SMTr ou la STCC ne peuvent
être appliquées que pour une période de temps limitée.
Néanmoins, ces méthodes présentent un potentiel
thérapeutique car elles peuvent induire des changements qui dépasseront
la période de traitement.
Ces effets à long terme avec un temps limité de
traitement peuvent s’expliquer soit par des effets de type apprentissage
(activation de la plasticité neuronale) soit par l’interruption des
réseaux dysfonctionnels, qui permet de rétablir un état plus
physiologique (Langguth et coll. 2010).
L’approche la plus étudiée a été la SMTr du cortex
temporal, qui a montré des effets bénéfiques dans plusieurs études (Meng
et coll. 2011).
Toutefois, l’effet moyen est faible et la variabilité
entre patients est très élevée. En conséquence, d’autres stratégies sont
nécessaires pour augmenter ses effets et la rendre pertinente pour la
routine clinique (Kleinjung & Langguth 2009).
Toutes les techniques présentées dans cette section
n’ont été développées que récemment en tant qu’options de traitement
pour les acouphènes. Même si elles ont montré des résultats prometteurs
dans les études pilotes, aucune d’entre elles n’a fourni suffisamment de
preuves pour une application générale dans un traitement de routine.
Étant à un stade précoce de développement, une
augmentation de l’efficacité peut être attendue pour l’ensemble de ces
méthodes dans les prochaines années, surtout avec l’accroissement des
connaissances tant de la physiopathologie des différentes formes
d’acouphènes que des mécanismes neurobiologiques impliqués dans les
effets modulateurs des différents traitements
Que peut-on actuellement recommander pour le traitement des acouphènes ?
Un premier essai a été réalisé par une équipe
pluridisciplinaire et multinationale de cliniciens (Langguth et coll.
2011) pour résumer les informations actuellement disponibles dans un
algorithme de gestion des patients acouphéniques qui est disponible en
anglais au public sous une forme interactive à l’adresse Internet
suivante :
http://www.tinnitusresearch.org/fr/projets/fl owchart_en.php
Cet algorithme de traitement fondé sur des preuves
défend une approche structurée pour le diagnostic et le traitement des
acouphènes, avec un accent particulier sur l’identification des
sous-groupes spécifiques de patients acouphéniques qui pourraient
bénéficier de traitements adaptés (Langguth et coll. 2011).
Selon cet algorithme, tous les patients reçoivent
d’abord la même évaluation diagnostique, dont les résultats sont
utilisés pour défi nir une approche adaptée à l’obtention d’un
diagnostic ultérieur ou à des évaluations thérapeutiques.
Cette étape comprend des tests techniques qui sont
tournés vers le diagnostic de symptômes psychologiques spécifiques liés
aux acouphènes (par exemple dépression, anxiété, insomnie) ainsi que de
symptômes somatiques. Une fois le diagnostic effectué, un traitement
orienté vers la cause est recommandé, mais, pour les cas où il n’existe
pas de traitements ou ceux où les traitements échouent, des options de
traitement symptomatique (à côté du « conseil ») doivent être envisagées
pour tous les patients handicapés par leurs acouphènes.
L’algorithme présenté pour la prise en charge des acouphènes représente la structure essentielle de l’ouvrage
« Textbook of tinnitus » récemment édité
(http://www.springer.com/medicine/otorhinolaryngology/book/978-1-60761-144-8 ), qui fournit un aperçu multidisciplinaire du diagnostic et de la gestion de ce trouble inquiétant et largement répandu.
Le livre souligne que l’acouphène n’est pas une maladie
mais un groupe de désordres plutôt divers ayant une physiopathologie
différente, différentes causes et, en conséquence des traitements
différents. Il décrit d’une part, le contexte théorique des différentes
formes d’acouphènes et fournit d’autre part, une connaissance détaillée
de ce qu’on sait en matière de traitements.
Rédigé par les experts de nombreuses disciplines,
l’ouvrage vise à fournir une vue d’ensemble exhaustive de l’état de
l’art de la prise en charge des acouphènes.
Remarques finales
Au cours des dernières années, la recherche sur l’animal
et la neuroimagerie ont généré une compréhension de plus en plus
détaillée des mécanismes
physiopathologiques des différentes formes d’acouphènes.
Les altérations de plusieurs réseaux cérébraux auditifs et non auditifs
ont été identifiées, qui reflètent les différents aspects cliniques de
l’acouphène et qui interagissent de manière dynamique les uns avec les
autres.
Cette connaissance a abouti à de nouvelles cibles
thérapeutiques potentielles et de nouvelles approches thérapeutiques,
dont beaucoup ont déjà montré des données prometteuses dans des études
destinées à valider leurs concepts d’action.
Pour la plupart de ces nouvelles approches, des
développements supplémentaires sont nécessaires avant qu’elles puissent
être considérées comme des traitements établis pour un usage clinique de
routine.
Néanmoins, la compréhension croissante de la
physiopathologie et le nombre croissant de nouveaux traitements à
l’horizon font naître l’espoir, que bientôt, de meilleures options de
traitement seront disponibles pour aider les nombreux patients
acouphéniques à surmonter leur souffrance quotidienne.
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