Le point des recherches sur les acouphènes
Le point des recherches sur les acouphènes
Extraits
de la conférence du Professeur Jean-Luc Puel, Directeur de l’INM
(Institut des Neurosciences de Montpellier) lors de l’Assemblée
Générale de l’association France Acouphènes à Lyon le 12 avril 2014.
D’après les notes prises par Dominique Vallée.
D’après les notes prises par Dominique Vallée.
Le texte est libre et n’engage pas le professeur Jean-Luc Puel qui n’a pas relu cet article.
Introduction
Les
pathologies du système auditif sont classées en second après les
celles du système visuel, bien avant la maladie d’Alzheimer. Cela
représente 16% de la population adulte et 1 personne sur 2 après 65
ans. En terme de coût cela arrive juste après Alzheimer du fait des
prix des matériels mais aussi des multiples consultations.
Le
vieillissement de l’oreille est dû à des facteurs d’environnement,
certains médicaments, des facteurs génétiques, et enfin l’âge car la
mort cellulaire est programmée.
Concernant les
jeunes, une étude menée dans les boîtes de nuit montre un niveau de
100dB* sur les 105dB tolérés. Pour les D.J., l’étude montre que ces
jeunes sont très exposés le week-end 3 jours de suite. 75% souffrent
d’acouphènes ! Ils ont une perte auditive sur les fréquences aigues
mais aussi sur les fréquences graves.
Le fonctionnement de l’oreille
Nous devons
chercher en revenant aux fondamentaux : le fonctionnement de l’oreille.
Le tympan, la chaîne des osselets, l’enclume, le marteau et l’étrier
puis la vibration de la membrane de Corti dans la cochlée et enfin
excitation des cellules ciliées externes et internes puis transmission
au cerveau par le nerf auditif.
Les
cellules ciliées externes amplifient les vibrations ce qui permet de
mieux entendre. Leur fonction est aussi, en se contractant, d’affiner la
discrimination en fréquence ce qui améliore l’intelligibilité du
langage donc la compréhension. En effet, il s’agit non seulement
d’entendre mais aussi de comprendre ce que dit l’autre. Souvent la
personne sourde fait répéter car elle « ne comprend pas bien » (surtout
dans le bruit). Le signal est ensuite envoyé aux cellules ciliées
internes dont la fonction est de transmettre les informations au cerveau
par l’intermédiaire les fibres du nerf auditif.
* Voir Revue de France Acouphènes n° 83 pages 28 et 29
En cas de dérèglement de l’oreille
Il
est possible de mesurer l’activité du nerf auditif d’un animal.
Bizarrement l’activité mesurée montre qu’il n’est jamais silencieux,
même en l’absence de bruit. Donc le nerf auditif code le silence ! Si
ce nerf, du moins certaines fibres qui le composent se dérèglent, un
bruit aberrant est envoyé au système nerveux central qui peut
s’appeler « acouphène ». Une sorte d’épilepsie du nerf auditif peut être perçue par le cerveau comme un son.
Le problème est que l’on ne peut pas faire ce type de mesure chez l’homme. On ne peut donc pas mesurer et entendre le bruit acouphène chez l’homme.
Pour améliorer l’amplification du signal, on peut proposer une aide auditive amplificatrice, mais c’est une prothèse auditive ; elle ne permettra pas de rétablir la discrimination en fréquence en particulier dans un bruit ou milieu ambiant. On ne remplace pas les cellules abîmées. « Une audioprothèse aide beaucoup mais ne remplace pas l’oreille ».
Pour améliorer l’amplification du signal, on peut proposer une aide auditive amplificatrice, mais c’est une prothèse auditive ; elle ne permettra pas de rétablir la discrimination en fréquence en particulier dans un bruit ou milieu ambiant. On ne remplace pas les cellules abîmées. « Une audioprothèse aide beaucoup mais ne remplace pas l’oreille ».
Si
l’oreille ne fonctionne plus il est possible de placer directement sur
le nerf auditif un implant cochléaire pour restaurer une audition qui
ne sera jamais celle d’origine !
La recherche
Constat : On
perd des cellules ciliées et on ne sait pas les remplacer, les faire
repousser ou plutôt les régénérer. Les poissons, les grenouilles,
les oiseaux peuvent régénérer leurs cellules ciliées.
On
peut essayer de reprogrammer des cellules, dites de soutien, des
cellules ciliées (pour qu’elles se divisent en générant de nouvelles
cellules de soutien) dans ce cas seules 10%, de nouvelles cellules
ciliées apparaissent, et ne sont pas formées correctement et sont donc
peu utilisables (faibles connections...).
Donc l’essai a un résultat pour le moment très modeste.
Il est
possible de faire de la prévention auditive sur l’exposition aux
bruits, mais aussi agir sur la dégénérescence : prévenir la mort des
cellules sensorielles.
On
peut donc étudier le mécanisme de la mort cellulaire ou à cause d’un
traumatisme auditif, à cause du vieillissement naturel. On peut aussi
tenter d’intervenir avec des molécules pour bloquer la mort
programmée, un anti apoptotique (qui stoppe la mort programmée d’une cellule).
Par exemple, si on traumatise les 2 oreilles d’un animal et qu’une des oreilles sert de contrôle (mort programmée sans intervention), et que dans l’autre oreille on injecte un anti apoptotique,
le résultat est que la protection est efficace, mais c’est un peu
traumatisant comme intervention dans la cochlée. Il est possible
également de placer la molécule au contact de l’entrée de la cochlée
: l’efficacité est la même. Par cette méthode, on prévient la mort cellulaire avant le traumatisme auditif.
En
cas de traumatisme auditif, les CCE (cellules ciliées externes) sont
tordues, explosées. Les cellules ciliées meurent et disparaissent.
Peut-on faire la même chose après un traumatisme ?
Oui, c’est efficace mais à condition que cela soit fait dans les 12 heures maximum après le traumatisme. S’il s’agit de prévenir la mort cellulaire par vieillissement naturel et non plus par traumatisme, l’effet est-il le même si l’on renouvelle périodiquement l’application de la molécule ? On peut penser à une injection transtympanique tous les 3 mois, c’est faisable et prometteur.
Oui, c’est efficace mais à condition que cela soit fait dans les 12 heures maximum après le traumatisme. S’il s’agit de prévenir la mort cellulaire par vieillissement naturel et non plus par traumatisme, l’effet est-il le même si l’on renouvelle périodiquement l’application de la molécule ? On peut penser à une injection transtympanique tous les 3 mois, c’est faisable et prometteur.
Après
un traumatisme auditif qui a donné des acouphènes et qui ont disparu
ensuite, peut-on constater des traces restantes du trauma ?
Des chercheurs ont mesuré les otoémissions acoustiques juste après le trauma et l’activité du nerf auditif. Ils ont constaté une perte modérée (40dB). Après récupération, la capacité auditive est redevenue normale, alors qu’il y a eu perte de 50% de fibres auditives ! Donc un audiogramme normal ne signifie pas que le nerf auditif est intact ! Même avec 80% de fibres en moins l’audiogramme est normal mais on peut évidemment constater l’apparition de symptômes du type acouphènes, hyperacousie etc. et à terme la mort de cellules auditives, donc la surdité.
Des chercheurs ont mesuré les otoémissions acoustiques juste après le trauma et l’activité du nerf auditif. Ils ont constaté une perte modérée (40dB). Après récupération, la capacité auditive est redevenue normale, alors qu’il y a eu perte de 50% de fibres auditives ! Donc un audiogramme normal ne signifie pas que le nerf auditif est intact ! Même avec 80% de fibres en moins l’audiogramme est normal mais on peut évidemment constater l’apparition de symptômes du type acouphènes, hyperacousie etc. et à terme la mort de cellules auditives, donc la surdité.
On ne remplace pas les cellules abimées.
Une audioprothèse aide beaucoup mais ne remplace pas l’oreille.
Retour aux acouphènes
Le problème
est que l’animal ne se plaint pas d’acouphènes, donc on n’a pas son
expression des effets d’une expérience. Ensuite, on ne sait pas si on
déclenche des acouphènes chez 100 % des animaux soumis à la même
expérience car chaque sujet vivant exposé au bruit ne réagit pas de
la même manière. Dans la même boite de nuit, certains en ressortiront
avec des acouphènes et d’autres non.
Il
faut donc voir comment on peut induire ce que l’animal ressent des
acouphènes d’après son comportement. On a trouvé que l’injection à
très forte dose d’aspirine provoque une destruction dans le nerf
auditif (+ de 3 g par jour pendant plusieurs jours). Donc on induit les
acouphènes par une forte exposition sonore et on apprend à ce moment à l’animal à monter « au poteau ». Quand on lui donne de fortes doses d’aspirine, il monte « au poteau » parce qu’il entend le son de ses acouphènes. On a donc un outil de mesure fiable.
Ensuite on a
utilisé des molécules qui vont calmer la sorte d’épilepsie du nerf
auditif qui serait à l’origine des acouphènes et on bloque alors les
acouphènes induits par l’aspirine. Il
faut mettre ces molécules directement dans la cochlée car si c’était
dans l’ensemble du corps dont le cerveau, toutes les activités seraient
anéanties. Il faut donc développer un traitement local.
Avec ce
modèle expérimental des acouphènes (qui n’existe pas pour
l’hyperacousie) on peut comprendre le lien avec l’angoisse, la
dépression. Mais qui est le premier ? L’anxiété qui génère les
acouphènes ou les acouphènes qui génèrent l’anxiété ? On injecte
des inhibiteurs de la sérotonine, l’inverse du Prozac et on crée de
l’anxiété.
On a testé l’effet de l’anxiété sur les acouphènes, la conclusion est que l’on trouve beaucoup plus d’acouphènes
chez un anxieux. Mais ce n’est pas l’anxiété qui crée l’acouphène,
l’anxiété peut démasquer un acouphène. En fait le cerveau filtre les
« bruits parasites » et
parmi bien d’autres : bruits internes au corps, bruits externes
ambiants qui sont insignifiants. Si le cerveau ne remplit plus cette
fonction de filtre les acouphènes peut-être déjà existants
apparaissent.
En laboratoire on a repéré 3 profils d’individus face au bruit fort : pas d’acouphène, acouphènes réversibles et acouphènes persistants (pendant
8 jours chez le rat, on ne peut pas travailler sur des acouphènes à
long terme). On peut bloquer le retour à long terme suite à un
traumatisme sonore aigu, c’est encourageant. Mais peut-on engager des
procédures cliniques pour soigner ? Ce n’est pas si simple.
Questions - réponses
Où en est la recherche sur les cellules souches ?
La
reprogrammation cellulaire c’est un peu cela, mais on ne fera pas de
greffe de cellules souches dans l’oreille, c’est un organe compliqué
qui vibre.
Qu’en est-il de la pompe avec une oreille infectieuse ?
Il n’y a pas
plus d’obstacle qu’avec les implants cochléaires, par exemple chez des
enfants qui feront des otites... sauf qu’il faudra prendre des
précautions antibactériennes (rinçage de la pompe avec antibio-
tiques etc.).
Pour le test sur l’homme quel est le planning ?
Dans d’autres pays il y a des essais cliniques avec les résultats de nos recherches, par exemple Auris Medical qui a des essais de phase 3 en cours sur l’homme. Une compagnie américaine Autonomie vient de racheter nos brevets et va développer les essais aux USA.
La pompe va injecter quoi, de nouvelles molécules et des antidépresseurs ?
Ce
sont de nouvelles molécules. On a isolé le neuro- transmetteur : la
substance chimique qui transmet le signal auditif est le glutamate. Mais
si il est libéré en trop grande quantité, comme il est toxique, il
détruit les fibres du nerf auditif. Quand elles se réparent, elles expriment des récepteurs de glutamate qu’elles ne devraient pas exprimer normalement, ce qui génère des acouphènes. Si l’on bloque ces récepteurs NMDA* on arrive à diminuer certains acouphènes.
Est-ce que cette solution pourra s’appliquer à des pathologies type Menière ?
Un laboratoire
allemand a réussi à diminuer et même à bloquer les acouphènes
persistants mais si l’ins- tillation s’arrête, les acouphènes
reviennent. Il faut mettre au point une mini-pompe qui instille pério-
diquement la molécule au plus près, ce que l’on fait actuellement avec
l’aide de l’Inserm, du CEA de Grenoble, de l’Institut Européen de la
Membrane et de la société Cochlear. C’est une mini-pompe rechar-
geable de l’extérieur.
Mais ce
traitement serait valable uniquement pour des acouphènes rebelles ; on
pourrait l’utiliser pour des hyperacousies précoces et même des
presbya- cousies très précoces (30, 40 ans). Ceci est un projet à
10-15 ans. C’est long, cher et difficile pour tous.
Je n’en sais
rien ; pour la maladie de Menière nous n’avons pas de modèle
expérimental donc on ne peut pas la comprendre scientifiquement.
L'amplificateur cochléaire peut-il diminuer les acouphènes ?
Oui et non ;
oui pour 50% des personnes qui avaient des acouphènes existants avant
l’implantation et qui peuvent disparaitre après ; mais non pour l’autre
moitié qui n’avait pas d’acouphènes avant, et les entend venir à
cause, peut-être, des conséquences du geste chirur- gical et de
l’arrivée du corps étranger qu’est l’implant. Mais le fait de stimuler
le nerf auditif va peut-être aussi masquer l’acouphène.
Peut-on
dire que les acouphènes sont un signal envoyé par le cerveau pour
dire que les cellules ciliées ont trop travaillé ? et sont
sur-stimulées ?
Je dirais
plutôt l’inverse, ce sont les cellules ciliées qui envoient un signal
au cerveau pour lui dire qu’elles ont trop travaillé.
J’ai
constaté que quand je m’oxygène beaucoup mes acouphènes
disparaissent, alors ce n’est pas un problème de conditions de vie ?
Voir la conférence de Mme Lina (dans un prochain numéro de la Revue France Acouphènes).
N’y a-t-il pas un rôle fondamental du nerf auditif ?
Oui, je l’ai dit un audiogramme normal ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dommage dans les fibres auditives.
Vous avez parlé d’acouphènes rebelles or nous avons tous le sentiment qu’ils sont rebelles.
Cette
mini-pompe serait pour les acouphènes rebelles car c’est un procédé
quand même lourd à mettre en place donc qui est justifié par un fort
degré invalidant.
*
Récepteurs NMDA : (N-méthyl-D-aspartate) sont des récepteurs
activés par le glutamate, essentiels à la mémoire et à la
plasticité synaptique. (© Wikipédia)
Qu’est-ce qu’un acouphène récent ?
À partir du
moment où le cerveau n’essaie plus de réparer les circuits
défaillants (une étude indique qu’il s’agirait d’une échéance 3
mois). Mais on en sait rien puisque avec mon modèle je ne vais pas au
delà de 8 jours.
Il ne faut pas
parler d’acouphène au singulier ; il y a autant d’acouphènes
différents que d’individus donc il n’y a sans doute pas de traitement
unique ! Les clini- ciens essaient de distinguer les profils de
populations pour essayer de distinguer les traitements à proposer à
chaque population. Tout est à faire à ce sujet.
Que pensez vous des médicaments, faut-il continuer à en prendre ?
Voir la conférence de Mme Lina (dans un prochain numéro de la Revue France Acouphènes), mais si cela vous fait du bien, il faut continuer.
Rien n'a été dit sur l’hyperacousie, le traitement dont vous avez parlé pourrait-il s’y appliquer ?
Une réponse a
déjà été apportée ; il n’y a pas de modèle actuellement. Un
modèle est en développement. En cas de trauma du à un bruit fort, on
perd des fibres auditives qui codent les fortes intensités. Donc dans
ce cas on va atteindre le seuil de douleur plus rapidement que pour une
oreille normale. Mais je ne pense pas que les molécules dont j’ai
parlé soient utiles dans ce cas. Il va falloir utiliser des molécules
qui feraient repousser les cellules du nerf auditif.
Vous parliez de l’effet de l’aspirine, cela concerne-t-il la fluidité du sang ?
Non, il s’agit de très fortes doses qui vont faire s’exprimer les récepteurs de glutamate.
On n’a pas évoqué le neurinome de l’acoustique ?
Toute anomalie
existant sur un point de toute la chaîne auditive est susceptible
d’entraîner des acouphènes, donc une tumeur qui comprime le nerf
auditif en fait partie.
Y a t-il des recherches sur les effets des séancesde stimulation magnétique transcrânienne ?
Les résultats
sont controversés, quand cela réussit on ne sait pas pourquoi et
quand cela ne réussit pas on ne sait pas non plus pourquoi. Il faut se
rapporter aux études du Dr Xavier Perrot (NDLR voir revue n° 77 page 6
à 9).
TINNITUSSIMO - 2e TRIMESTRE 2014
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