Surdités, acouphènes: Le point de vue du chercheur
Après avoir suivi le cheminement du son dans les divers éléments de l’oreille, le Pr Puel a évoqué les atteintes qui peuvent affecter ces différentes structures et la disponibilité de traitements permettant d’y remédier.
Quand il existe un problème au niveau du pavillon, du tympan ou des osselets, on sait comment les traiter. En revanche, quand le siège du problème est dans l’oreille interne, on n’a pour l’instant aucun moyen de les traiter. L’oreille interne est double. Elle comprend une structure en forme de petit escargot nommée “cochlea” en latin soit cochlée en français, organe de l’audition et le vestibule qui est l’organe de l’équilibre. Quatre vingt dix pour cent des vertiges proviennent du vestibule. Quand il existe des dysfonctionnements dans la cochlée, il peut exister des troubles de surdité et/ou des acouphènes. Parfois les problèmes concernent à la fois l’oreille interne et le vestibule, on observe alors surdité, acouphènes et vertiges.
Le Pr Puel nous a alors projeté une photographie très agrandie de cochlée de rat montrant les deux types de cellules sensorielles nommées cellules ciliées internes (CCI) et externes (CCE). Dans l’oreille il n’existe que 15000 cellules ciliées alors que l’œil contient 12 millions de photorécepteurs. Ces cellules ciliées sont fragiles et disparaissent au bout d’un certain temps créant alors des problèmes différents selon que les cellules ciliées atteintes sont les internes ou les externes. En effet, le rôle de ces deux types de cellules est radicalement différent. Si on prend une CCE isolée dans la boite de Pétri et que l’on envoie des sons : la CCE “danse” en même temps que la musique.
Le rôle de ces cellules est de se contracter pour augmenter la vibration à l’intérieur de l’oreille interne. Grâce à elles, nous entendons mieux et discriminons mieux les fréquences. Les CCI, quant à elles sont les véritables récepteurs sensoriels. Leur stimulation par les vibrations sonores entraîne la création d’un message électrique qui montera jusqu’au cerveau. Ce message électrique naît grâce à la libération sous la CCI d’un neurotransmetteur nommé glutamate. En trop grande quantité, cette substance détruit les fibres auditives ; or, après un traumatisme sonore, le glutamate est libéré en trop grande quantité ce qui entraîne la destruction des fibres du nerf auditif.
La surdité est, le plus souvent, liée au vieillissement (on parle de presbyacousie), les cellules disparaissant au cours du temps. Nous perdons nos CCE très progressivement. Au début cela se traduit par des problèmes de compréhension dans le bruit. Quand elles ont totalement disparu, cela entraîne une perte auditive d’environ 60 dB. Les CCI et les fibres auditives qui leur sont liées ne sont affectées que plus tard : à 65 ans, la moitié des fibres auditives ont disparu. Cependant, le développement de la surdité varie en fonction en fonction de facteurs environnementaux et de la génétique. Parmi les facteurs environnementaux, on note les médicaments ototoxiques (quinine, aspirine à très forte dose d’au moins 3 g /jour, chimiothérapie cisplatine …), le bruit (boites de nuit , baladeurs, etc ..). Une notion importante est celle de “capital son” à ne pas dépasser.
On a déjà vu que l’audition baisse avec l’âge. Cependant, le terrain génétique intervenant, nous ne sommes pas égaux devant les méfaits du bruit, ni devant l’âge. Normalement, à 65 ans on note des pertes sur les aigus ; à 90 ans, des pertes apparaissent sur les graves. Mais ces pertes se manifestent plus tôt si on a abusé du bruit, l’audition varie alors prématurément.
Chez l’animal, si on utilise du cisplatine, une drogue employée dans les chimiothérapies anticancéreuses, on note la disparition des CCE ainsi qu’une perte sur les aigus. Si on soumet l’animal à un traumatisme sonore de 120 dB, on observe des CCE qui meurent de même que certaines CCI et, sous les CCI, les fibres auditives ont disparu sous l’influence de la libération trop importante de glutamate. Après un mois, toutes les CCI ont disparu et on note une dégénérescence du nerf auditif.
Il existe un modèle animal du vieillissement de l’audition : une souche de souris qui développent une presbyacousie précoce. Cela permet de d’étudier et de développer des stratégies thérapeutiques par des molécules qui, appliquées dans l’oreille, empêchent les CC de mourir.
Les acouphènes constituent un problème plus compliqué pour le chercheur. Leur origine est-elle située dans l’oreille ou bien dans le cerveau ? De plus on note des inégalités des sujets devant l’acouphène.
Avec de très fortes doses d’aspirine, on peut déclencher 100% de cas d’acouphènes. Si les injections sont prolongées pendant 3 semaines, les acouphènes sont associés à une surdité.
Ces acouphènes sont-ils d’origine périphérique ?
Si on prend des tranches de cochlée de rat et que l’on ajoute du glutamate, les cellules deviennent plus sensibles. Si l’on ajoute en plus de l’aspirine, on note une hypersensibilité au glutamate. Si ensuite, on ajoute une substance anti-glutamate, on régule l’hypersensibilité. Si les fibres du nerf auditif sont marquées par un colorant qui réagit dès qu’il y a une activité. On peut “voir” l’acouphène sous forme d’activation électrique.
Si on traite un animal entier par de fortes doses d’aspirine, on note l’apparition d’ activités anormales. Le repérage de ces activités pourrait peut-être constituer un test objectif de l’acouphène. Lorsqu’on ajoute un antiglutamate, l’activité anormale disparaît. L’acouphène correspondrait-il à cette activité anormale ? Pour répondre à cette question, un modèle comportemental a été développé qui permet de savoir si l’animal entend ou non un acouphène.
Pour ce faire on conditionne l’animal en utilisant un son qui mime l’acouphène induit par l’aspirine. Quand il entend le son, l’animal doit exécuter une tâche : il doit monter sur le petit poteau accroché au plafond de sa cage, sinon il reçoit une petite décharge électrique. Une fois le conditionnement réalisé, l’animal ne monte pas au poteau quand il n’y a pas de son. Lorsqu’on lui injecte de l’aspirine, alors qu’aucun son n’est utilisé, il grimpe au poteau comme un fou. Si on lui injecte alors une substance antiglutamate, il ne monte plus au poteau. C’est donc probablement qu’il n’entend plus d’acouphènes.
Une autre hypothèse a été étudiée à l’aide de ce modèle. Celle du rôle de l’anxiété de la dépression dans le déclenchement de l’acouphène.
Des substances comme la caféine, la yohimbine, le mCPP (inverse du prozac) sont connues pour induire de l’anxiété. Leur utilisation seule n’induit pas d’acouphènes. En revanche, les animaux qui sont traités avec de l’aspirine et rendus anxieux par ces diverses substances ont deux fois plus d’acouphènes que les non anxieux. L’anxiété potentialise des acouphènes déjà existants. Une étude récente publiée en 2006 a montré que les anti-glutamate bloquent aussi les acouphènes chez l’animal rendu anxieux.
Que se passe-t-il maintenant si des animaux sont exposés au bruit après conditionnement : certains n’ont pas d’ acouphènes (1/3), certains ont des acouphènes transitoires (1/3) et ceux du 1/3 restant ont des acouphènes qui durent. Quand on traite par un anti-glutamate les animaux qui n’ont pas d’acouphènes, ils n’en ont toujours pas ; les animaux qui ont des acouphènes transitoires quant à eux, gardent leurs acouphènes ; en revanche, les animaux qui ont des acouphènes qui durent, n’en ont plus. Il apparaît donc que les acouphènes qui durent sont liés au glutamate.
Si l’on soumet des rats à un traumatisme sonore dans les deux oreilles (130 dB pendant 30 minutes) et que l’on met un petit gel imprégné d’anti-glutamate qui diffuse pendant 3 jours dans une seule des deux oreilles, dix jours après la fin du traitement on voit que l’activité anormale a disparu dans l’oreille traitée mais pas dans l’autre.
Les perspectives de recherche sont maintenant
- d’étudier les mécanismes moléculaires d’action du salicylate d’étendre le modèle à d’autres pathologies : presbyacousie, chimiothérapie
- de déterminer une fenêtre thérapeutique (temps pendant lequel le médicament est actif après le traumatisme sonore ou la mise en contact avec l’ototoxique)
- de promouvoir le transfert clinique puisque les anti-glutamates ne peuvent pas être administrés par un autre voie que la voie locale.
Le Pr Puel a alors répondu aux questions de la salle :
Question : Pourquoi certaines personnes entendent-elles des sifflements, d’autres des bourdonnements ?
Réponse : Cela dépend de la perte auditive du sujet. Quand elle affecte des fréquences graves, l’acouphène est de tonalité grave et perçu comme des bourdonnements; quand ce sont les aigus qui sont touchés, l’acouphène est perçu comme des sifflements.
Question : Un antiglutamate peut-il avoir un effet sur un acouphène vieux de plus de 10 ans.
Réponse : On ne sait pas encore.
Question : Un acouphène peut-il être lié à un problème vasculaire ?
Réponse : Si, chez l’animal on clampe l’artère cochléaire, le cerveau n’est plus oxygéné. Après 3 minutes d’anémie cérébrale, la cellule ciliée largue du glutamate et on note un endommagement des fibres auditives comme dans le modèle de traumatisme sonore.
Question : Les antiglutamates ont-ils des effets secondaires?
Réponse : Les études toxicologiques réalisées montrent qu’ils ne sont pas toxiques sur l’oreille quand ils sont appliqués directement dans l’oreille. En revanche, ils sont toxiques par voie générale.
Question : Qu’est ce qu’on attend pour essayer chez l’Homme ?
Réponse : Il faut de nombreux essais pré-cliniques, toxicologiques, etc .. avant de pouvoir réaliser des essais cliniques en toute sécurité pour les patients. L’INSERM a pour attribution d’accompagner des essais cliniques en partenariat ou non avec des industriels. Les industriels français n’ont pas manifesté leur intérêt. Des opérations de lobbying doivent être menées pour que le fruit des recherches françaises ne partent pas à l’étranger.
Question : Pourquoi on nous dit que l’acouphène peut disparaître du jour au lendemain ?
Réponse : Parce que c’est vrai ! Nous avons vu que l’influence de l’anxiété est importante et le système nerveux qui est fait pour filtrer les informations non pertinentes comme celles de l’acouphène est doté d’importantes capacités de récupération.
Question : Et pour l’hyperacousie ?
Réponse : Dans l’hyperacousie, il n’y a pas de perte auditive. Il y a des raisons de penser que les récepteurs au glutamate peuvent être aussi impliqués. Cependant, il n’existe pas à l’heure actuelle de modèle animal d’hyperacousie.
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